Le crieur public de la Guillotière, vos messages, mes cordes vocales

Et l’hiver ?[1]

A priori, on ne sait jamais, le crieur va s’arrêter avant Noël, un peu comme la nature, dodo du crieur et réveil au printemps…

 

Comment t’est venue l’idée de venir crier sur la place publique ?

Je suis conteur de métier depuis deux ans, c’est-à-dire que j’en vis à peu près. Je voulais absolument trouver à la Guillotière, le quartier où je vis, un temps et un lieu où les gens puissent venir écouter des contes. J’aime conter à l’extérieur. Après, ça s’est enrichi, notamment au sein du collectif les Guillotins, dont je fais partie. J’ai voulu faire quelque chose à la fois de très poétique et politique. J’en ai parlé à droite et à gauche et l’idée a grandi. C’est comme ça que le crieur public est né.

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Peux-tu dire deux mots du collectif les Guillotins ?

Les Guillotins sont un collectif de personnes, principalement des habitants, mais pas uniquement, qui ont pour objectif de lutter contre – même si c’est un peu présomptueux – ou de mettre en lumière l’embourgeoisement de la Guillotière, qui signifie l’éviction progressive des pauvres. Ils sont nés à l’été 2013, mais ils sont issus de différents mouvements qui existaient avant.

 

Est-ce que tu cherches par ta manière d’haranguer le public à t’inscrire dans une lignée ?

Non pas spécialement. C’est difficile de répondre à cette question. Je m’inscris plutôt dans une lignée de conteurs. En tout cas, ça n’est pas mon objectif, même si j’ai pris la suite du conteur public de la Croix-Rousse, qui est parti crier ailleurs. C’est une coïncidence, ça n’était pas fait exprès.

 

A la lecture de ton manifeste, le parti-pris politique, au sens grec du terme, est très fort. C’est quoi « le peuple » pour toi ?

Pour la préparation d’une séance de contes populaires de la Guillotière pour Terre des livres, la librairie débordante de la Guill’, j’ai écris quelque chose sur le peuple. Je partais de la pauvreté, mais aussi je disais qu’il était bruyant, odorant, foisonnant et peut-être dérangeant. Au final, vivant.

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Quid de la connotation politique du mot peuple, inscrite dans ton manifeste ?

Il existe une erreur des politiques dans leur rôle institué qui est de renvoyer les gens dans leur catégorie. On te dit « vous qui prétendez faire du social, vous devez en faire encore plus », car ils vous mettent dans la catégorie supposée des bobos. Là il s’agit de faire peuple, de se foutre pas mal d’où on vient, d’être dans l’instant où on est et tourné vers là où on va. De belles paroles ! A faire, c’est plus compliqué. Par définition, le peuple, c’est quelque chose qui est différent de ce qui est, qui se construit et qui est toujours en mouvement.

 

C’est quoi ce Bulletin collectif de nouvelles populaires que tu invites à construire ?

La voilà la dimension politique. J’avais envie de parler de l’actualité, mais pas que du quartier. Il ne faut pas non plus que je le fasse moi, mais que j’invite les gens à dire ce qui les a touchés. Pour l’instant, c’est assez vivant. Les gens laissent un message. L’idée, c’est de partager des nouvelles plus que l’actualité. L’actualité aujourd’hui est éminemment déprimante et tend à vous démobiliser. Je veux arriver à la construire, pour pouvoir y prendre part. On la partage et on en fait quelque chose. On décide d’un rassemblement. On organise une manifestation contre l’expulsion des 300 personnes boulevard Yves-Farges, dans le 7e, comme il a été décidé la semaine dernière. Ça peut aller plus loin. Les personnes qui participent apportent des nouvelles. Contrairement à l’actualité télévisée ou sur Internet, on peut en parler, la commenter, la faire vivre.

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Tu viens en fait de répondre à ma question suivante : tu souhaites, a priori, une interaction, en amenant les gens à participer, comment le fais-tu et est-ce que ça marche ?

La participation, c’est plus large que ça. L’idée, ça n’est pas que j’invite les gens à écrire des beaux messages poétiques, mais que ça se réponde, qu’on construise quelque chose ensemble. Comme laisser des petites annonces et que ça donne lieu à des rencontres, que ça devienne un truc pratique et populaire, comme de vendre ses salades tel jour à telle heure… Si c’est pratique, ça peut devenir populaire. Je ne veux pas que la dimension politique.

 

Et l’hiver ?

Le Crieur hiberne. On verra. Parce qu’il faut que ça respire, il faut qu’il n’y est rien à l’expiration. Je vais aussi me lasser. Et puis, c’est plus difficile de rester dehors l’hiver. Au début, je tablais sur une demi-heure, maintenant avec les contes, c’est plutôt une heure. Il y a en plus l’apéro derrière que j’aimerais poursuivre en repas partagé…

 

Finalement, je souhaiterais te poser une ultime question : que penses-tu de la place dit de Mazagran ?

Le crieur public 4En deux mots ? C’est l’horreur, non ça fait trois ! La machine mégalopolitaine lyonnaise est venue, à grand renfort d’argent public en pleine période d’austérité, détruire un grand nombre d’initiatives et exclure une partie de la population qui vivaient autour et sur cette place. C’était toute une histoire. Une histoire de familles rom, de squatters hébergés en toute légalité, de terrain de sport pour les ados. Tout cela a disparu du paysage. L’ironie du sort, c’est que les ados, qui ont été excessivement déçus quand ils ont appris qu’ils ne pourraient plus faire du foot, vont jouer dans l’aire de jeux des enfants et qu’ils commettent des destructions. Concernant ce qui a été fait, c’est terrifiant de rectitude. Aujourd’hui, dans la conception d’un espace public partagé par différents usagers, on parque les usagers. Chacun regarde l’autre derrière une grille, même le compost est engrillagé. Cela signifie être dans l’incapacité d’imaginer que les gens se mélangent. Sans parler de la conception policière de l’espace public. La commission sécurité de la Ville voulait surveiller la place de tous les bords, il a donc été impossible d’envisager de faire de l’ombre, en mettant des murs ou des buissons…

A la deuxième criée, je me suis posée la question si je continue. La force de cette place, c’est l’envie des habitants/usagers/occupants de la faire. Il y a des envies de jardiner, de construire, de bricoler, de s’approprier… Dans cette logique, ça se tient, même si c’est une question sans cesse renouvelée. C’est l’idée de mon référendum sur le nom de la place, renvoyer la question aux gens.

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Oyé Oyé : Vous pouvez venir écouter le Crieur public tous les jeudis soirs à partir de
18 heures, place Mazagran, dans le 7e, et déposer quand bon vous semble
vos messages dans les boîtes dédiées à cet effet installées dans plusieurs endroits dans le quartier de la Guillotière.

 

 

Cet entretien se fonde sur le manifeste du Crieur public de la Guillotière.
« Vos messages, mes cordes vocales » est une citation du crieur public de Grenoble, reprise à son compte par Lionel.
[1] Lionel a lu par-dessus mon carnet et a vu la dernière question que j’avais préparée et a souhaité commencer par elle. Je lui ai toutefois dit que cela n’empêcherait pas que je la repose à la fin…

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