De l’argent pour nous rendre libres et heureux

Imaginez que vous imaginiez une société dans laquelle chacun reçoit pour vivre un revenu sans aucune condition (ni de ressources, d’activité ou d’inactivité, ni de charge familiale…) ni contrepartie (travailler ou se retirer du marché de l’emploi, par exemple). Un revenu inconditionnel pour permettre à chacun de ne pas connaître une situation de pauvreté et de s’émanciper du salariat.

Vous pouvez imaginer, bien sûr, la somme de questions que cela engendre et le nombre d’objections que cela suscite. Baptiste Mylondo, du collectif Pour un revenu social, nous a conviés, mercredi 6 mai, lors de l’apéro-découverte organisé par Locaux Motiv’, à voyager dans cette société qu’il considère comme possible à advenir à l’heure actuelle en France et qui ne dépend seulement que de la volonté politique. Il estime, en effet, que la création de richesses est suffisante et que les moyens techniques sont à notre disposition.

Un revenu de base, oui, mais à combien ?

Alors à droite comme à gauche, on spécule sur l’impact d’un tel revenu sur notre économie. A droite, l’objectif est de parvenir au plein-emploi, de casser ce chômage en versant aux travailleurs un montant de revenu suffisamment bas ou insuffisamment élevé pour qu’ils acceptent ces emplois non rentables au Smic. Son montant s’élève alors à 500 €/mois. A gauche, le revenu inconditionnel est censé lutter contre les inégalités en permettant aux plus pauvres de sortir de leur condition et, à chacun, d’avoir accès aux biens et services essentiels (980 €/mois, soit 60 % du revenu médian). Deux conceptions radicalement différentes du développement de la société française et du rôle des citoyens, que le spectre des divers fondements attribués au revenu inconditionnel vient illustrer.

Revenu citoyen ou revenu de citoyenneté ?

Du côté libéral, il serait un moyen de simplifier notre système redistributif, en rassemblant toutes les prestations en une seule. Une manière plus simple, donc, nous dit Baptiste Mylondo, de maintenir les inégalités. A gauche, la revue Multitude, justifie ce revenu minimum en raison du chômage et en considérant qu’il n’est plus possible d’offrir un emploi à tout le monde. Pour Baptiste Mylondo, ce revenu trouve son fondement principal dans notre condition de citoyen. « Un revenu de citoyenneté active », comme il le qualifie. S’impliquer dans la chose publique ou contribuer au bien commun exigent de nous citoyens du temps, temps libéré par ce revenu qui nous sort de la nécessité.

Un revenu pour tous, c’est bien, mais qui le finance ?

Quatre scénarios nous sont présentés reposant chacun sur quatre sources de financement possible. En premier lieu, la création monétaire. On fait tourner la planche à billets et la roue de la fortune en même temps. Deuxième possibilité, on augmente la TVA[1]. Mais là, encore, on fait tourner la spirale de l’inflation. Plus on augmente les prix, plus le revenu inconditionnel augmente, plus on consomme, moins on s’en sort. En troisième piste, on a la taxation des transactions financières (la taxe Tobin, par exemple) ou l’écotaxe. Alors là, c’est aussi incohérent que de fonder le financement du revenu sur la consommation ou la croissance productive. Il s’agirait d’asseoir le système de financement sur la spéculation. Enfin la quatrième voie que propose Baptiste Mylondo et son collectif semble la plus en cohérence avec la société que nous essayons d’imaginer depuis le début. L’imposition des revenus du travail et la taxation du patrimoine, avec l’incontournable nécessité de revoir la progressivité de l’impôt, afin que chacun participe à l’effort collectif pour pouvoir en percevoir les fruits.

Revenu inconditionnel

Un revenu pour une société différente

Alors résumons-nous. Mettre en place le revenu inconditionnel on peut, et nous voilà des citoyens qui disposons de temps ! Mais pour poursuivre cette révolution mentale que l’instauration du revenu inconditionnel entraîne chez chacun de nous, reprenons les fondamentaux sous-tendus pour ne pas sortir de cet article en pensant que tout cela, c’est bien beau, mais que ça n’est pas la vraie vie. Tout d’abord, en paroles liminaires, devant un changement de cette ampleur, il faut savoir raison garder et s’obliger à ne pas continuellement essayer de plaquer nos schémas de pensée actuels sur l’après-instauration du revenu inconditionnel. Il est impossible aujourd’hui de mesurer l’impact sur nos comportements et nos mentalités. En outre, la force du discours politique qui accompagnera cette réforme participera à l’orientation des comportements.

En second lieu, nous sommes dans un jeu de dominos. Jouer une pièce seule n’a aucun sens. Ce revenu est là pour nous amener vers une autre société, une société qui ne se fonde plus sur les inégalités ni sur la croissance matérielle et économique. Enfin, une société dans laquelle les conceptions du travail et du temps libre sont revisitées.

Des citoyens libres et heureux

Le revenu inconditionnel n’est pas là pour nous rendre oisifs. Il vient mettre un terme à cette société qui fait de l’emploi sa seule porte d’entrée et la seule source de lien, de reconnaissance et d’utilité sociale pour les personnes. Il nous invite donc à repenser le salariat et sa dimension aliénatrice. Baptiste Mylondo propose une définition positive de l’utilité sociale, qui veut que « toute activité, décidée par la personne, est utile dès lors qu’elle n’a pas été jugée nuisible par la collectivité ». L’article 4bis de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en quelque sorte[2]. Un droit à choisir la manière d’utiliser son temps, car, dans cette société que nous nous sommes efforcés d’imaginer, le travail sera rémunéré à son juste prix et le temps libre sera considéré à sa juste valeur. Quelqu’un a levé la main contre ?

Pour poursuivre la réflexion

  • Philippe van Parijs et Yannick Vanderbroght, l’Allocation universelle, La Découverte, 2003.
  • « Un revenu pour exister », revue Mouvements, n° 73, 2013.
  • Baptiste Mylondo, Pour un revenu sans condition, Utopia, 2012.

[1]    Taxe sur la valeur ajoutée.

[2]    « Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

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